AFFAIRE DES PICASSO « SUITE ET FIN »
Près de 8 ans après la découverte de 271 œuvres inédites de l’artiste Pablo Picasso, la chambre criminelle de la Cour de cassation apporte une première conclusion à l’affaire dans son arrêt du 28 février 2018.
En 2010, Claude Picasso, fils du peintre et administrateur de la société Picasso Administration est contacté par les époux Le Guennec qui sollicitent des certificats d’authenticité pour l’ensemble des œuvres évoquées. Lesdites œuvres n’étant pas répertoriées ni dans le catalogue ni dans l’inventaire de la succession, les héritiers de l’artiste décident de porter plainte pour recel d’œuvres d’art auprès du parquet de Grasse. Pierre et Danielle Le Guennec explique alors que, dans le cadre de leurs relations professionnelles avec les époux Picasso, ils se seraient liés d’amitié avec Jacqueline Roque, dernière épouse du peintre. Suite au décès de ce dernier en 1973, Jacqueline Roque aurait fait don des 271 œuvres au couple afin de les soustraire à l’inventaire successoral, un contentieux l’opposant aux enfants du défunt.
Or, cette version ne peut être corroborée par Jacqueline Roque, celle-ci s’étant suicidée en 1986. Les époux Le Guennec ont été condamnés par le tribunal correctionnel de Grasse mais ont choisi d’interjeter appel, de même que le procureur de la République. Devant la Cour d’appel, les prévenus ont modifié leur version qui sera dès lors considérée comme mensongère, incohérente et peu crédible.
Le jugement de première instance sera confirmé avec le prononcé d’une peine d’emprisonnement de deux ans. Les juges du second degré ont estimé qu’au regard de la nouvelle version donnée, la mauvaise foi des époux Le Guennec était démontrée et qu’ils ne pouvaient ignorer l’origine frauduleuse de biens en leur possession. C’est aujourd’hui la chambre criminelle de la Cour de cassation qui a eu à connaître de l’affaire et cette dernière a prononcé un arrêt de cassation totale.
Pour rendre cette décision, la chambre criminelle s’est fondée sur l’article 321-1 du code pénal. En effet, pour pouvoir retenir l’infraction de recel sanctionnée par cet article, encore aurait-il fallu que la Cour d’appel d’Aix-en-Provence ait caractérisé l’origine frauduleuse des biens recelés en démontrant les éléments constitutifs d’un vol (Cim. 14 déc. 2000, n°99-87.015, D. 2001. 831 ; RTD com. 2001. 527, obs. B. Bouloc.).
Il est également nécessaire de prendre en considération la régularité de la possession et la bonne foi du mis en cause (Crim. 30 nov. 1999, n° 98-85.991, RSC 2000. 832, obs. R. Ottenhof ; RTD com. 2000. 474, obs. B. Bouloc ; JCP 2000. II. 10359, note J. Biguenet). Or en l’espèce, pour retenir l’infraction de recel et pour caractériser l’origine frauduleuse des œuvres, les juges du second degré se sont uniquement fondés sur l’incohérence des déclarations entre les deux instances, estimant que cela leur conférait un caractère mensonger et peu crédible.
Cette décision fait une application classique du principe d’interprétation stricte de la loi pénale prévu à l’article 111-4 du code pénal. Il faut néanmoins souligner que la chambre criminelle n’a pas entendu se prononcer sur la qualification du vol, et laisse donc à la juridiction de renvoi (la Cour d’appel de Lyon), le soin de déterminer s’il y a ou non eu soustraction frauduleuse des œuvres de façon à pouvoir retenir l’infraction de recel à l’encontre des époux Le Guennec.
Par Hortense ETAIX et Julien CHAUPLANNAZ